Aujourd’hui, 27 Nissan 5777, Lundi 24 Avril 2017, c’est Yom Hashoah. Une des journées les plus poignantes mais des plus importantes pour le peuple juif. En Israël elle est marquée depuis la veille au soir par des commémorations et des témoignages de survivants et de leurs enfants. Voilà mon premier Yom HaShoah en Israël.
Témoigner pour informer
Il n’est pas encore 19 heures et déjà quelques commerces ferment. Je sais qu’il ne ré-ouvriront que le surlendemain. Ce soir débute Yom HaShoah et mon groupe Massa et moi, avons rendez-vous avec un couple de survivants de la Shoah et leur fille. « Un privilège » de les rencontrer, mais une véritable épreuve.
Survivre aux camps de la mort
La femme prendra la parole pour son mari aujourd’hui affaibli. Elle nous raconte sa déportation en 1942 à l’âge de 15 ans direction le camp de regroupement de Malines en Belgique avant d’être déporté vers Auschwitz. A son arrivée, il est immédiatement séparé de son père qu’il ne reverra plus et de sa mère qu’il ne pourra revoir qu’une seule fois pendant la guerre. Il survivra au camp malgré les horreurs, les femmes, les enfants et les hommes battus à mort et torturés.
En 1945 il subit la « Marche de la Mort » qui part d’Auschwitz jusqu’à Loslau soit 56 kilomètres dans un froid glacial. Il raconte qu’au moindre signe de faiblesse, au moindre trébuchement ou « presque trébuchement », on peut être fusillé sur le champ devant tout le monde. Comme le dira sa fille, « on peut penser ce que l’on veut. Qu’on y croit ou pas, il y a un Dieu au dessus ! »A la Libération il pèse 35 kg.
Survivre grâce aux justes des Nations
Quant à elle, elle vit cachée chez des Justes durant la guerre. D’abord dans une cave à charbon avec ses parents. Puis grâce une connaissance Portugaise de sa maman, elle peut vivre chez l’ambassadrice du Portugal en Belgique jusqu’à la fin de la guerre. Mais enfermée dans une chambre mansardée. Ce qui lui vaut sa claustrophobie actuelle.
Leur fille nous dira que, pour leur famille, il n’y a pas besoin d’un Yom Hashoah. Ils vivent avec ce spectre depuis maintenant 70 ans. Ses enfants également vivent avec à l’esprit le caractère particulier de l’horreur vécue par leur famille. Elle ajoutera « je ne vous donne pas les détails des horreurs parce que cela n’avancerait pas à grand-chose, mais il faut simplement que vous sachiez ce qui s’est passé ».
Finalement, Yom Hashoah est une journée d’information. Une journée où le « souvenir » des témoins devient information pour ceux qui ne savent pas, ou trop peu.
Yom HaShoah, une cérémonie hors du temps
La journée du lendemain est entièrement destinée au devoir de mémoire.
Israël ce jour-là s’est complètement arrêté de 10h du matin jusqu’à 10h02. Ces deux minutes de silence, et cette longue alarme, sont pour moi comme le symbole du cri des déportés dans le silence des nations.
La cérémonie peut commencer. Un jeune du campus de l’Oulpan Etzion nous joue un air triste au violoncelle puis vient le moment de réciter des psaumes, puis un kadich à la mémoire des disparus. Des chants et des poèmes ponctuent cette matinée hors du temps.
Une claque identitaire
Puis arrivent ces dix minutes dont je me souviendrai toute ma vie: ce moment où l’on invite chaque personne qui le souhaite à allumer une bougie à la mémoire d’un parent ou d’une famille disparus dans les camps.
Je n’oublierai jamais cette phrase « j’allume cette lumière pour.. » qui signifie tout simplement que non, ce n’était pas un mauvais rêve, que non il n’y a rien d’inventé, que non, nos proches ne sont pas des personnes éloignées ou inconnues. Il s’agit de personnes réelles, qui ont eu une femme, un mari, des enfants et qui ont été trainées de force hors de leur maison pour être enfermées dans un wagon direction la mort.
Ce matin j’ai vu des hommes pleurer de détresse, crier Dieu de les sauver de cet enfer qu’ils n’attendaient pas; j’ai vu un enfant d’à peine 9 ou 10 ans marcher, les bras tenus par deux soldats allemands qui le faisaient avancer plus vite; j’ai vu des femmes jeunes, mais qui avaient le regard sans illusions de vieilles dames dont la fin approche.
Puis j’ai levé les yeux et j’ai regardé autour de moi, et j’ai vu ces jeunes de 2017. Des jeunes de 20 à 30 ans les yeux gonflés et les joues en larmes. Les jeunes hommes, comme les jeunes filles. Et une fois de plus, j’ai pris une claque. Celle qu’il me fallait pour comprendre à nouveau ce qu’est être juif.
Yom Hashoah, s’identifier à la souffrance
Comment se fait-il que nous autres, jeunes bien loin de la génération de la Shoah, puissions souffrir autant des maux d’un passé que nous n’avons pas connus ? Comment est-ce possible de voir mes amis en larmes, et d’avoir envie de les prendre dans mes bras et de les rassurer alors que nous n’y étions pas ?!
J’en ai déduit qu’être juif est pour moi un héritage. Etre juif c’est ressentir au plus profond de soi un héritage parfois heureux, mais souvent malheureux, dans lequel la trace de nos ennemis est indélébile. C’est dire « j’y étais parce que mes ancêtres y étaient. Et leur souffrance c’est aussi la mienne ».
Aujourd’hui j’ai fini par comprendre que Yom Hashoah ce n’est bien plus que se souvenir ou apprendre. Yom Hashoah, comme toutes les commémorations juives, c’est s’identifier. A mon peuple d’abord, à sa souffrance ensuite. Parce que ce n’est qu’en ressentant les choses que l’on pourra continuer à transmettre à nos enfants. Et qu’ils feront de même en voyant leurs amis pleurer.
Raphael Souied
Stagerim Jérusalem 2017